Laurent Pilon
Galerie Christiane Chassay
20, rue Marie-Anne ouest
25 mars 2000
Le Devoir, samedi 18 mai 1991
par Jean Dumont
Depuis 1984, année où Laurent Pilon a présenté Segment d’origine, et à partir de laquelle il a travaillé exclusivement avec de la résine polyester, l’amateur, et cela suivant ses inclinaisons et ses capacités personnelles, a toujours pu prendre appui sur divers appareils logiques pour approcher et apprécier ses installations-sculptures.
L’une des voies les plus évidentes était celle des mathématiques, puisque l’artiste lui-même n’a jamais caché l’importance de cet outil dans la démarche qui sous-tend la conception l’organisation et le fonctionnement intellectuel et plastique de ses installations.
Une réflexion philosophique et esthétique sur le statut de la simulation constituait une autre voie naturelle d’entrée dans une œuvre utilisant la résine comme matériau neutre susceptible d’adopter l’aspect de n’importe quel autre matériau.
Je ne sais pas si une approche purement sensible, ou phénoménologique aurait débouché bien loin, à cause justement des facteurs liés à la simulation, mais l’essai, s’il n’a pas été tenté, en aurait certainement valu la peine.
Pour parcourir sa dernière installation, à la Galerie Christiane Chassay, je me suis appuyé à un ensemble de données, de réflexions et d’interrogations, peut-être moins précis que chacun des autres appareils théoriques cités, pris seul à seul, mais qui a l’avantage de les comprendre tous : l’artiste lui-même. Il n’est pas question, ici, d’explorer tous les sentiers qui se sont ouverts sous nos pas au long de cette visite, mais de dire simplement quelques repères, de construire, dans cet espace lisse et nomade, quelques cairns qui seront sans doute démolis demain. Laurent Pilon, malgré, ou peut-être à cause de la rigueur qui le caractérise est d’ailleurs encore aujourd’hui, à l’écoute de ce que sa pièce peut lui apprendre sur son travail et sa démarche.
Deux mots, deux notions en fait, sont apparus au long du parcours, puis on été répétés de plus en plus fréquemment, en déplaçant d’autres, ou les parasitant, se ménageant une importance sur leur marge.
Alors que nous parlions mathématiques, structure, expansion en regardant les 21 éléments de l’installation dont aucun ne fait plus de 51 pouces de haut, ni plus de 10 pouces d’épaisseur, nous avons commencé à parler de flottement, de variation autour d’un point d’équilibre, d’incertitude même. C’est sans doute parce que l’accumulation des 21 éléments ne mène à aucune conclusion logique, pas même à une limite. Pilon a voulu sa série ouverte.
C’est aussi parce que chaque fois que nous avons voulu définir les objets eux-mêmes, nous sommes arrivés à une impasse, ou tout au moins à un doute. Les objets de Pilon ne se définissent que par le processus qui les met au monde. Autrement dit : la rigueur n’est pas dans le résultat du processus, mais dans le processus lui-même. La vérité ne peut donc jamais être que locale, toujours remise en question par l’étape suivante du processus. C’est dans cette zone incertaine que peut s’immiscer et jouer le poétique…
Le deuxième terme à s’imposer dans cette sorte de parcours initiatique, a été celui d’équivalence, prononcé déjà en d’autres temps et autres lieux, mais qui là, au milieu de ces objets sans nom a pris de la force, au point, non seulement de déplacer les termes et les notions de simulation et de simulacre employés avant lui, mais de les éliminer complètement.
La notion d’équivalence est une réalité mathématique. Elle ne dit pas qu’un objet est le même que l’autre, ou que leurs formes sont semblables, ni même ressemblantes, elle dit que les deux peuvent aspirer au même statut.
Regardez bien la majorité des objets de Pilon. Ils ne peuvent, bien entendu, puisqu’ils sont des objets de culture, éviter de nous rappeler quelque chose, mais ils ne sont pas nommés, ils n’ont aucune valeur d’usage donc pas d’identité, ils ne sont même pas, de la volonté de l’artiste, des indices d’objets nommés. Ils ne font pas semblant. Si telle plaque de plastique est déformée comme une plaque d’acier mise en tension par la soudure, c’est simplement qu’elle a pris cette forme à cause des réactions exothermiques lors de sa fabrication.
Ces objets sont entièrement libres, ils sont un réel autre, libre donc aussi du matériau qui les constitue. Cette idée d’un nouveau réel est certainement celle qu’il faudrait étudier à fond dans le travail de Laurent Pilon. Elle est sans doute la plus difficile à admettre et à cerner, mais elle est aussi ce qui permet de n’avoir aucun doute sur le statut artistique de cette production.
Dites-moi : s’il s’agissait d’imitations, ou mieux encore, de simulacres parfaits, pourquoi aurions-nous, en circulant entre les éléments, l’impression curieuse, vague, que quelque chose ne va pas. Pourquoi saurions-nous, sans les avoir jamais touchés, que ces objets ne pèsent pas leur poids? Je n’ai pas encore eu le temps de vous dire qu’il s’agit-là, bien sûr, de la meilleure exposition jamais produite par Laurent Pilon…