Gisants debout
Gisants debout, composés résineux, 2005-2021
La dimension approximative des cinq figures est de 3500 cm.
Une certaine mobilité formelle caractérise la facture de cet ensemble.
Qu’est-ce que ce géant? c’est un voleur.
La chose est simple; tout colosse a toujours deux côtés ;
Et les difformités et les sublimités
Habitant la montagne ainsi que des voisines.
Le prodige et le monstre ont les mêmes racines.
Victor Hugo, La légende des siècles, XXI, II.
Mobilité
Gisants debout
Mobilité 2
Gisants debout
Sans une résistance offerte et soutenue par la matière, sous quels auspices peut s’exprimer la petite nécessité intérieure dont faisait état, il me semble, Paul Cézanne. Quel champ de figuration ou manière poétique la résine offre-t-elle? Le geste peut bien s’exercer dans le plus-vrai-que-vrai, s’avancer dans la menue manœuvre extensive ou se rassurer dans le colossal, son corollaire intempestif, mais comment peut-il le faire sans que le mimétisme ou la prolixité deviennent des pièges, ou que le-plus-grand-que-grand devienne une chimère d’occasion? Peut-être que la réalité de la diversification des états de la matière fabriquée nous engage, comme phénomène basique, dans une sorte de perpétuité locale, où l’essentiel se logerait dans un enchaînement de ponctualités faites d’interactions de voisinage immédiat, un voisinage beaucoup plus petit que la porosité interdisciplinaire?
La résine est l’auteur et le protagoniste de sa tragédie fossile, on ne fait que la mettre en scène. Mais on ne déterre pas sans risque les restes du vivant. Faut-il les rendre à leur gangue géologique en les médusant, en imprégner d’autres vestiges corporels, réparer l’outrage par crémation, engourdir la désacralisation en mimant le corps vivant? Faut-il confronter cette substance en prédation à d’autres forces tout aussi prédatrices, ou encore faut-il acquiescer à une impuissance de colliger artifice et vérité, acquiescer, sous couvert de plasmaticité heureuse, à une propagation évasive, naturelle ou « neutre » de l’événement matériel?
À côtoyer de si près le résidu cadavérique, les gestes se ritualisent, les rituels se font et se défont en une archéologie de manières qui joint notre actualité. La résine est une interminable rêverie diurne, qui ne pourra être appréhendée ou respectée qu’avec un profond sentiment d’arbitraire ; chemins d’ombre, gestes brusques, distorsions, compromis et conciliations sous marge temporelle, anomalies qui n’en seront jamais vraiment. Verser sa pratique dans le marais résineux colporte l’insistance d’une vélocité mortelle, de celles qui nous font perdre visages et pensées dans un flux de perpétuité. — Laurent Pilon